diciembre 15, 2017

«Le signe agissant. D’une sémiologie de la mimesis vers une pragmatique de la performance»



Nicoleta Popa Blanariu
«Le signe agissant. D’une sémiologie de la mimesis vers une pragmatique de la performance»

SIGNA. Revista de la Asociación Española de Semiótica, n.º 26 (2017)

SIGNA. Revista de la Asociación Española de Semiótica | Universidad Nacional de Educación a Distancia (UNED) | Facultad de Filología | Departamento de Literatura Española y Teoría de la Literatura | Madrid | ESPAÑA


Extracto del apartado en páginas 498-502 de la publicación en PDF. Véanse las referencias en la publicación original del texto.




«(RE)PRÉSENTATION: MIMESIS VS. PERFORMANCE

»Depuis la deuxième moitié du XXième siècle, la performance, produit symptomatique du postmodernisme, fait l’objet de bien des débats, en Europe et aux États-Unis, et polarise la création artistique, voire plus. Erwing Goffman (2001) étudie “la mise en scène de la vie quotidienne”. Richard Schechner assimile tous les comportements sociaux organisés à la performance; à son opinion, “n’importe quelle action encadrée, offerte, soulignée ou exposée est une performance” (Schechner apud Pavis, 2007: 17).

»André Helbo (2011) souligne les “processus performatifs complexes” qui s’attaquent à la frontière entre vie et spectacle. Patrice Pavis (2007: 16-17) veut “éviter de parler à tout bout de champ de ‘théâtre’, risquant alors de plaquer une conception grecque ou occidentale sur des cultural performances (des manifestations culturelles spectaculaires) qui ne lui doivent rien”. Le théâtre à l’ancienne reste alors un produit essentiellement esthétique, à une configuration relativement stable, et vouée à une répétition d’ellemême (presqu’) à l’identique.

»Selon Pavis, la mise en scène de ce genre théâtral n’est qu’ “une des innombrables cultural performances”, tandis que la notion de performance intègre “l’opposition esthétique/ non-esthétique”; “dans tous les cas, [...] une action est accomplie par la performance en question” (Pavis, 2007: 17). Une “action” ou, autrement dit, un événement qui se produit à mi-chemin entre la réalité telle quelle et sa mise en scène ou –ce qui revient au même– sa remise en question ad hoc. Une telle performance est plus ou moins “esthétique”. Or, un spectacle en bonne et due forme “n’a pas un but seulement utilitaire (‘performer’ une cérémonie, un rituel)”, mais en tout premier lieu, l’un “fictionnel et esthétique, en recherchant le beau” (Pavis, 2007: 17).

»Si l’ère de la mise en scène commence au XIX ième siècle, avec le naturalisme et son effet du réel, une partie assez importante du spectacle contemporain brise l’illusion du “morceau de vie”, sort du théâtre à l’ancienne et donne de plein pied dans le réel. Ce type de (re)présentation –performance, happening, etc.– renonce à faire semblant, et s’insère dans l’espace non-fictionnel qui l’entoure, voire même s’y confond.

»Cet ancrage dans l’immédiat est devenu presqu’une marque des créations artistiques actuelles. Le discours artistique et son sens se constituent aujourd’hui d’une manière éminemment contextuelle. Aussi peut-on dire qu’au moment du pragmatic turn en philosophie et dans les sciences du langage, les arts du spectacle empruntent eux aussi une voie pareille (l’une “pragmatique”, en ce sens qu’on doit tout d’abord à Charles Morris): mettre en vedette le fonctionnement du signe dans sa relation avec les “utilisateurs”, ou avec un “contexte” donné, d’où émergent un certain nombre de significations, profondément subjectivisées.

»Ce replacement du spectacle postmoderne dans son contexte de jeu témoigne d’un rapport assez insolite de l’art(éfact) au réel, d’une confusion préméditée à la Pirandello, des niveaux de la (re)présentation: la fiction s’insinue dans l’immédiat, tandis que le réel tourne en fiction. Pas une fois, le spectacle postmoderne amène son public dans la scène ou descend lui-mème dans la salle, dans la rue, dans des espaces non-conventionnels. Autrefois bien défendue par les poétiques classiques, la frontière entre la salle et la scène s’(entre)ouvre; tout le monde (ou presque) y est appelé à performer: le public, le DJ, l’ingénieur du son ou le maître des lumières, etc.

»L’ancienne structure fermée –création individuelle et d’habitude bien fignolée– se trouve maintenant remplacée par des formes ouvertes (happening, performance, installation, work in progress) qui n’aspirent plus au parachèvement du chef-d’oeuvre, mais à un tout autre type d’expression, dont l’enjeu reste à tirer au clair. Il en dérive bien des formes spectaculaires “hybrides”, partagées entre théâtre et une sorte de reality-show, entre mise en scène et “mise en perf” ou “performise” (Pavis, 2007: 55), entre danse, théâtre et médias audiovisuels, entre présence (ou présentation) et représentation, entre performance, physical theatre (Thomas Leabhardt, apud Pavis, 2007) et “spectacle” en bonne et due forme, ce qui veut dire performance “théâtralisée” (Pavis, 2007).

»La représentation suppose un discours médiat, et généralement assumé comme fictionnel; tandis que la performance est plutôt non fictionnelle et subjective, et requiert une présence se manifestant i(-)mmédiatement, par un discours (verbalisé ou non) souvent autobiographique, qui conteste (ou seulement fait semblant de récuser) “l’idée de ‘re-présentation’” (Pavis, 2007: 14 -15). Ainsi, à partir des années ‘60, la performance comme spectacle vivant est une alternative à la mimesis du Stagirite. Ces expérimentations occupent actuellement une part assez importante des productions contemporaines, notamment underground, et parfois mainstream.

»Dans la performance et les genres interactifs postmodernes, les rôles (du danseur, de l’acteur, du public) s’imbriquent pas une fois, et le spectacle débouche sur le contexte de la vie réelle qui l’entoure (l’espace du public, par exemple). Assez souvent, de telles performances reposent sur une poétique métafictionnelle et autoréférentielle, de la déconstruction et de la “dedoxification” (Hutcheon, 1997; Popa Blanariu, 2008, 2009, 2011, 2012). Cette poétique postmoderne s’attaque essentiellement aux codes esthétiques et culturels consacrés, tout comme aux moyens d’expression assujettis, et aux raisons d’être de tels langages.

»Cette remise en question des codes et langages artistiques (en tant qu’ensembles de conventions, contraintes et formes d’expression préétablies) s’associe fréquemment au penchant des artistes contemporains pour un style minimaliste et pour l’art conceptuel. La performance s’assume aussi une remise en question de l’esthétique par l’aisthesis: c’est-à-dire, remise en cause de l’aspect extérieur (visuel) de la (re)présentation, au profit de “l’introspection proprioceptive” (Suquet, 2009). Cela va de pair avec un rétrécissement de la “distance contemplative” (Suquet, 2009) d’entre le public et la scène, d’entre la vie et la fiction, d’entre le corps et son image culturelle.

»De telles performances sont plutôt live, “écrites” sur le vif, juste au moment où elles sont portées devant le public qu’elles sollicitent à fleur de peau. C’est dans ce “sens intérieur” du mouvement que dès 1912, Kandinsky a vu la matière et la fin de la danse à venir (Kandinsky apud Suquet, 2009). Prophétie en train de se confirmer?

»Dans de telles circonstances, le public –professionnel ou pas– semble devoir s’adapter à un changement d’optique: d’une ancienne sémiologie de la mimesis (ou de la représentation), on avance petit à petit, depuis plusieurs décénnies, vers une pragmatique de la performance (ou présentation). En ce sens, Patrice Pavis (2007) remarquait à son tour le passage d’une “sémiologie de la mise en scène” à une “phénoménologie de la performance”. Entre ces deux approches, il y a une différence concernant essentiellement, à mon avis, la manière de construire le spectacle et son sens.

»La construction d’un spectacle classique est généralement fermée, représentationnelle, c’est-à-dire bien définie par le dramaturge et le metteur en scène avant le début du spectacle. Dans ce cas, le spectacle reprend (ou re-présente) devant le public une forme artistique déjà bien établie et mise à l’épreuve pendant les répétitions. Ainsi conçu, le spectacle est une forme artistique relativement autonome et stable par rapport à la réaction immédiate du public et au contexte du jeu.

»Par contre, la performance et les genres interactifs postmodernes s’avèrent être essentiellement ouverts, fortement contextuels et redevables à la présence hic et nunc des artistes et du public. À la rigueur, la réaction et l’intervention du public dans l’espace du jeu peuvent changer le spectacle sur-le-champ; par conséquent, telle performance (ou présentation) peut radicalement différer d’une autre mise en oeuvre du même projet artistique.

»Tous ces changements, c’est la nature même de l’objet artistique postmoderne qui les imposent, tellement enraciné qu’il est dans son contexte (re)présentationnel. Celui-ci comporte toute une série de paramètres qui influent sur la production interactive du discours (verbal ou non verbal) et de son sens éminemment contextuel.

»On pourrait dire que la performance et les genres interactifs comportent souvent l’aspect d’un spectacle –ou d’une “mise en perf”– de la communication. C’est-à-dire, non seulement les spectateurs regardent les artistes, mais en même temps, ceux-là se manifestent en tant que performers ad hoc. Cela veut dire que le public offre aux artistes (et aussi les spectateurs eux-mêmes s’offrent les uns aux autres) le spectacle de leurs propres réactions dans le contexte du jeu.

»À mon avis, cet aspect de la performance postmoderne rend d’autant plus légitime la question de la performativité dans l’interaction quotidienne, que soulève Goffman (1959; 1974): à quel point les comportements humains s’avèrentils avoir une dimension performative dans les circonstances habituelles de l’interaction des individus? Il faut souligner que Goffman (1974) s’est intéressé de près aux traits communicatifs du comportement humain quotidien, dans ses analyses sociologiques ayant fait recours aux métaphores théâtrales, telles que: masque, rôle, personnage, décor, objet scénique.

»Il faut aussi remarquer que dans des circonstances habituelles et aussi dans un contexte artistique, la dimension performative d’un fait ou d’un comportement peut être intentionnelle ou pas. En ce sens, John Cage, père fondateur de l’art performatif, était d’avis que l’intentionalité ne permet pas la libre manifestation de la créativité, cette découverte le conduisant à redéfinir le rôle et la manière spécifique d’agir de l’artiste: celui-ci –considérait Cage– doit seulement diriger l’attention du public vers ce qui existe déjà autour de soi, dans la nature ou dans le domaine de la technologie.

»Une performativité implicite, non intentionnelle réside donc dans des faits et phénomènes de tous les jours – les bruits de la pluie, la respiration, les klaxons dans la rue ou les appareils radio– dont Cage lui-même a fait l’expérience dans Imaginay Landscape N.º. 4 (1951). De la même manière, certains comportements non intentionels du public et même des artistes peuvent, à mon avis, devenir performatifs et profondément significatifs dans le contexte de la performance postmoderrne.

»Combinaison de sons voulue aléatoire, donc non-intentionnelle et nonreprésentationnelle, la musique de Cage trouve le plus souvent son sens grâce au décryptage subjectif du public et à sa disponibilité de participer au sémantisme de l’oeuvre. Comme Wagner avec son projet du “théâtre total”, et Artaud auparavant, Cage a fait du point d’intersection de différents langages artistiques l’espace privilégié de la genèse du sens d’un oeuvre, chaque art tout en gardant son autonomie. Auteur de bien des performances, avec le chorégraphe Merce Cunningham, Cage a généralement composé une musique censée être performée, donc apte à collaborer avec d’autres langages artistiques à l’intérieur d’une même performance. Dans Points in Space (1986), Cage a composé la musique pour la chorégraphie de Cunningham, la musique et le mouvement étant pour la première fois associés lors de la première (Allain et Harvie, 2014).

»Conçues sans raport initial de “motivation” réciproque à la Saussure, la musique et la chorégraphie vont pourtant se compléter ainsi et s’illuminer l’une l’autre, dès qu’on les mettra ensemble, tout en proposant leur tandem à l’interprétation du public.

»Avant Cage, Artaud saisit la même valence performative des composantes sonore et visuelle du spectacle: “les sons [y] interviennent comme des personnages”, tandis que l’on “doit introduire dans la lumière un élément de ténuité, d’opacité en vue de produire le chaud, le froid, la colère, la peur etc.” (Artaud, 1964: 146-147). Ce qu’Artaud désigne par “langage théâtral”, c’est toujours une réalité multimodale, où s’imbrique une multitude de sous-langages: “langage auditif” d’ “incantation”, “langage visuel des objets, des mouvements, des attitudes, des gestes”, “langage de l’espace”, “langage des sons, des cris, des lumières, d’onomatopées” (Artaud, 1964: 138).

»Tout ce système de langages, “le théâtre se doit de l’organiser, en faisant avec les personnages et les objets de véritables hiéroglyphes, et en se servant de leur symbolisme et de leur correspondances, par rapport à tous les organes et sur tous les plans” (Artaud, 1964: 138). À tous ces niveaux, les composantes sensibles doivent devenir porteuses de significations dans la perspective de l’ensemble: il faut “prolonge[r] leur sens, leur physionomie, leurs assemblages jusqu’aux signes, en faisant de ces signes une manière d’alphabet” (Artaud, 1964: 138).

»La découverte d’une couche “pré-expressive” dans le jeu de l’acteur est aussi centrale dans la poétique théâtrale d’Eugenio Barba. Le “pré-expressif” est non intentionnel, c’est l’énergie (ou “bios”) produite avant toute intention d’expression consciente que l’acteur pourrait manifester conformément aux codes sociaux, culturels et artistiques qu’il s’est assumés. Ce contenu pré-intentionel et “pré-expressif” se laisse découvrir par les postures du performer, par l’espace qu’occupe son corps, par les processus physiques involontaires (tel le pouls) qui influent sur les possibilités d’expression et de communication de l’artiste (Barba et Savarese, 1991; Allain et Harvie, 2014).»





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