octubre 06, 2015

«Le design jusqu’au bout des mots». Interview avec Philippe Apeloig



Philippe Apeloig www.apeloig.com
«Le design jusqu’au bout des mots»
Interview par Céline Coubray
Paperjam




Vídeo de Emotional Branding Alliance



«Le designer graphiste et typographe Philippe Apeloig est le prochain invité de Design Friends. En préambule de sa conférence du 21 octobre au Mudam, nous lui avons posé quelques questions.

»Monsieur Apeloig, pourriez-vous nous présenter votre parcours?

»J’ai fait mes études à l’École supérieure des arts appliqués (Duperré), puis à l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad) à Paris. J’ai également eu l’occasion d’effectuer deux stages dans l’agence Total Design à Amsterdam, où j’ai découvert une approche moderniste du graphisme néerlandais, notamment en ce qui concerne l’utilisation de la typographie. En 1985, un peu plus d’un an avant son ouverture au public, le Musée d’Orsay m’a recruté comme graphiste. J’ai créé l’affiche de la première exposition Chicago, naissance d’une métropole qui a été remarquée, me propulsant ainsi dans le monde de la communication visuelle. En 1987-88, j’ai rejoint l’atelier d’April Greiman à Los Angeles.

»En 1989, j’ai fondé mon bureau à Paris, que je dirige toujours aujourd’hui. J’ai marqué une pause en 1993-94, année pendant laquelle j’ai été pensionnaire à l’Académie de France à Rome (Villa Médicis), où j’ai commencé à dessiner mes propres polices de caractères. De 1998 à 2003, je me suis installé à New York. Là, j’ai enseigné à la Cooper Union School of Art, après avoir été professeur durant sept années à l’Ensad à Paris.

»Pourriez-vous nous préciser comment vous abordez les premières étapes d’un nouveau travail?

»Mes sources d’inspiration viennent de la peinture, de la sculpture ou des arts du spectacle. L’agencement des lettres, des mots et des formes géométriques est le point de départ de mes recherches. L’image figurative m’apparaît souvent inutile, trop narrative. Lorsque je commence un projet, je cherche un concept en même temps que j’élabore un système de grille et de lignes de construction qui servent à structurer la page. Une fois les proportions établies, j’essaie d’aller au-delà de l’aspect purement fonctionnel de la composition. J’aime introduire l’impression de mouvement et surtout une touche d’émotion. Je décompose mes idées, les recolle, les assemble dans un autre ordre, comme un monteur de cinéma, jusqu’à ressentir la confirmation que ce que je fais est juste. C’est un processus complexe, un jeu de construction-déconstruction-reconstruction.

»Êtes-vous influencé par les autres arts?

»J’ai toujours été intéressé par le dessin, la sculpture, la danse contemporaine, le décor de théâtre. L’architecture et l’écriture me passionnent aussi. En fait, tout ce qui se réfère à l’espace. J’ai beaucoup regardé le constructivisme russe, la peinture de Malevitch en particulier. Pendant mon séjour aux Pays-Bas, j’ai découvert le mouvement De Stijl, Mondrian, van Doesburg, van der Leck et Rietveld. Il m’est alors apparu évident qu’il existe un point de rencontre et d’attache entre une pratique artistique et celle plus technique du design. J’aime aussi les sculptures de Brancusi et d’Henry Moore. Enfin, les premières images fortes dont je me souvienne sont les peintures de Corot, Ingres et l’œuvre polymorphe de Picasso. Enfant, j’étais fasciné par sa manière de réinventer perpétuellement son univers.

»Quelle place accordez-vous aux nouvelles technologies?

»J’ai appris le design sans l’ordinateur. J’ai commencé à travailler avec les outils traditionnels. J’ai vu les premiers équipements numériques chez Total Design, mais c’est lors de mon passage dans l’atelier d’April Greiman à Los Angeles que j’ai compris l’ampleur de cette révolution technologique. April avait intégré l’informatique dans sa boîte à outils, alors que tous les autres graphistes travaillaient encore avec des rotrings et des équerres. L’arrivée de l’ordinateur a été une délivrance et a stimulé profondément la création de nouveaux codes graphiques. Il a enfin été possible de tout modifier, de moduler, d’interpréter, sans être dépendant des techniciens du processus de fabrication. Nos méthodes de travail ont complètement changé. Aujourd’hui, le rythme de ces mutations s’accélère, ce qui est prodigieux. Mais j’aime revenir au crayon et au papier, je me sens libre d’y déposer mes idées, de créer intuitivement en échappant à la rigidité mécanique du digital. Et je peux rapidement repasser au dessin sur écran. Je crois qu’il existe quand même une forme d’ ‘humanisme’ technologique. Ma méthode de travail est un va-et-vient d’expérimentations multiples. Je garde mes croquis, des collages et de nombreuses sorties laser qui constituent les archives de mes projets.

»La typographie tient une place majeure dans votre travail. Pourquoi?

»À partir de la silhouette des lettres, j’aime obtenir un maximum d’effets avec un minimum de moyens. La typographie permet un degré élevé de conceptualisation. C’est l’essence même du dessin, un équilibre de proportions entre le plein et le vide, une matière à la fois poétique et fonctionnelle, une fusion entre concept et forme.

»C’est pourtant une discipline ingrate, peu connue du grand public.

»En effet, la plupart des lecteurs ne prêtent pas attention au dessin des lettres. La typographie appartient au domaine du non-remarquable. Pourtant, il se cache une masse de travail phénoménale dans l’invention d’une police de caractères, tout autant que dans l’utilisation d’éléments typographiques sur une affiche, dans la mise en page d’un livre ou le dessin d’un logotype. Il faut se poser les bonnes questions. À quoi un caractère va-t-il servir? Comment sera-t-il reproduit? Comment se détacher de l’aspect purement fonctionnel et tendre vers des compositions graphiques abstraites, voire poétiques.

»Et les grilles de mise en page, comment les utilisez-vous?

»J’ai découvert l’importance de la grille de mise en page chez Total Design. Elle conditionne l’agencement des éléments entre eux, aussi bien qu’elle émancipe le créateur dans sa conjugaison entre la forme et le fond. C’est un mélange de concision, de rigueur, de fonctionnalisme et de grande sophistication.

»Quelle place la couleur tient-elle dans votre approche?

»Je pense d’abord en noir et blanc, à l’ombre et à la lumière. La couleur n’intervient qu’une fois l’ordonnancement abouti. J’ai toujours eu un peu de peine à m’exprimer directement avec la juxtaposition des couleurs.

»Quels sont vos projets actuels?

»Je travaille sur la signalétique et l’identité visuelle du Louvre Abou Dabi avec les Ateliers Jean Nouvel. Je vais également avoir une exposition au Stedelijk Museum à Amsterdam à partir du 31 octobre, intitulée Using Type.»






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